Célébrer les liens entre l’espèce humaine et le marais de Goulaine
Un projet qui prend place au cœur d’un marais qui m’a amenée à porter une attention particulière aux besoins de certaines espèces animales et végétales fonctionnant par cycles au fil des saisons. L’objectif de ce projet est de défendre et commémorer les richesses que ce territoire héberge, en instaurant un rendez-vous annuel particulier d’observation de l’évolution du paysage.
Résumé d’enquête
Le marais, avec ses parcelles effilées aux 1300 propriétaires, n’est pas une formation naturelle. C’est l’aménagement de ses nombreux canaux servant l’agriculture et le transport de marchandises, puis l’installation de la digue de la Divatte, qui en ont fait ce qu’il est aujourd’hui, à savoir une zone humide dont le niveau d’eau évolue au cours de l’année. En été, seuls les deux lacs au sud de la butte de la Roche sont encore en eau, tandis que c’est presque la totalité de sa surface qui se retrouve imbibée en hiver. Cet espace à l’origine artificielle a développé une richesse de biodiversité, aujourd’hui menacée : les différents milieux ont besoin d’entretien notamment par la fauche pour ne pas se transformer en une forêt homogène. Le marais s’étale sur plusieurs communes, ce qui en fait un lieu d’intérêt pour la communauté de communes.
C’est en se focalisant sur les interdépendances qui existent parmi ce territoire qu’une approche festive et joyeuse, attentive à la petite échelle, se dessine. Les cycles qui se sont révélés essentiels au marais de Goulaine sont ceux qui concernent le Damier de la Succise et le roseau. Le damier de la Succise fait partie des 38 espèces de papillons de jour prises en compte par le Plan National d’Actions établi par le Ministère de la transition écologique pour assurer le rétablissement dans un état de conservation favorable des espèces de papillons menacées ou faisant l’objet d’un intérêt particulier. Ce lépidoptère a la particularité de vivre, entre la phase d’œuf et celle d’imago, environ un an, en passant par plusieurs stades de chenille et de chrysalide. En le prenant comme point de base et en considérant les besoins des plantes dont il dépend, il reprend une place centrale dont seuls les lépidoptéristes ou les écologues avaient conscience : il est un indicateur de la santé du marais de Goulaine.
Traditionnellement appelé la rouche par les ligériens, le roseau se développe tous les ans. Ressource quasi-infinie, elle meurt et renaît à partir de ses rhizomes. Installée dans toutes les zones humides, elle doit être fauchée chaque année pour éviter l’enfrichement du marais et représente un potentiel considérable pour le domaine de la construction. Une fois fauché, il doit être effeuillé, séché et stocké avant de le transformer en isolation en vrac, en mobilier, décoration, ou en toiture de chaume.
Le lien entre ces deux espèces est la fauche. Bien que le roseau ne soit pas présent sur la parcelle, faucher la prairie permet de donner de la place aux plantes hôtes, et faucher le roseau donne plus de place aux autres espèces végétales, qui nourrissent les espèces animales comme le Damier. Une fois travaillé, le roseau a des propriétés qui favorisent le vol du Damier : il le protège de la pluie et des bourrasques.
Situation de la prairie
Nous nous situons au Sud Est de l’agglomération nantaise et au cœur du marais qui présente une multitude d’écosystèmes, de cultures, de parcelles plus ou moins entretenues. Pour ce projet nous utiliserons les trois roselières les plus proches, qui recouvrent 2,54 hectares au total et qui permettront de récolter 1335 bottes de roseau de20cm de diamètre chacune et environ 4kg. Le site sur lequel s’implante le projet est une prairie à la frontière entre le Loroux Bottereau et le Landreau, mais il est aussi proche des contours de Haute-Goulaine et La Chapelle-Heulin, ce qui en fait une centralité, un lieu qui crée du lien entre ces quatre communes. Le hameau le plus proche est Le bas Briacé, il est à 18 min à pied du site. D’ici, je propose de faire partir un chemin, offrant un lieu de partage pour les habitants. Cette possibilité de marcher, au quotidien ou en randonnée de proximité pour les habitants du sud de la métropole par exemple, fait partie du programme.
Comme beaucoup de parcelles du marais, celle-ci est constituée en longueur, du sud vers le nord (environ 260m de long). Elle est entourée de haies bocagères, et d’un cours d’eau au nord. On y accède par un chemin carrossable, et le choix a été fait de prolonger certains sentiers ign afin d’accéder aux roselières. Il s’agit d’une prairie humide, et plus précisément une prairie maigre de fauche, ce qui signifie que son entretien manuel favorise un certain cortège floristique comme des graminées, des centaurées ou des renoncules.
Un programme cyclique
En réponse aux enjeux cernés, la proposition consiste à recréer un attachement, un émerveillement des humain.e.s pour leur territoire grâce aux besoins du Damier qui vont rendre visibles les interdépendances entre insectes, végétation, marais et humain.e.s. En s’appuyant sur les cycles étudiés, un rendez-vous commémoratif le jour du pic de vol du Damier est fixé chaque année, s’appuyant sur la disponibilité en roseau. Il comprend plusieurs actions agissant sur le paysage à différentes périodes : entretien, observation, expérimentation, fabrication dont découlent d’autres usages : déambulation, apprentissage, découverte, et formation. Le roseau sert de support à ces activités afin de favoriser le développement de la filière. La réponse architecturale et spatiale se décline en plusieurs éléments :
- Une Halle de travail du roseau, proposant un espace de fabrication, des formations, ateliers, ainsi qu’un espace de repos. Le roseau qui doit être fauché, séché, effeuillé puis assemblé en une..
- Intervention éphémère construite chaque année en roseau, faisant l’objet d’un festival pour expérimenter et apprendre à utiliser ce matériau, et qui va servir à la commémoration du Damier en mettant en place les conditions idéales de vol du papillon, afin de garantir aux visiteurs et visiteuses de pouvoir l’observer, lui et les autres insectes pollinisateurs,
- Une Estacade pour continuer la marche, et permettant de voir l’évolution de la filière et du paysage en prenant de la hauteur,
- Une prairie refleurie avec des plantes adaptées au terrain, choisies également en fonction de leurs périodes de floraison, que l’on appellera prairie mellifère, nécessitant des actions partielles de la part des étudiants du Lycée Briacé.
Récit de projet
Fin août : alors que les marais sont généralement fauchés en hiver, à la période ou le réseau meurt à cause du froid et sèche, le marais de Goulaine a la particularité de ne pouvoir être fauché qu’en été, puisqu’il est inondé une grande partie de l’année. Les trois roselières les plus proches sont fauchées au moins d’août, et le roseau récolté aura besoin d’au moins 2 semaines pour sécher à l’abris de l’humidité.
Le mois suivant, des étudiantes et étudiants jardiniers commencent leur année scolaire en venant semer des graines pour redonner leur place à des plantes endémiques parfois disparues : la succise des prés, la gentiane croisette ou encore la scabieuse colombaire, qui sont des plantes hôtes des chenilles du Damier, mais aussi d’autres plantes mellifères telles que le carum verticillé ou la scorsonère humble. Pendant ce temps-là, le roseau sec a été rangé à l’intérieur de la halle pour sécher à l’abris du l’humidité.
La prairie, pour conserver sa biodiversité, a besoin d’être entretenue, et donc fauchée. Cette action est effectuée à la période (octobre) qui dérange le moins les nids de chenilles qui sont installés à moins de 20cm du sol, et c’est aussi une période où peu de fleurs sont encore en place. Le plus efficace est de l’effectuer en rotation chaque année pour laisser au vivant le temps de se déplacer.
L’hiver est calme du côté des insectes mais cela n’empêche pas de parcourir l’estacade pour voir le paysage changer de couleur, venir écouter les oiseaux ou participer à une formation de vannerie ou d’isolation végétale. Cette structure donne de la hauteur sur la prairie et crée une connexion visuelle avec la butte de la Roche, le point qui surplombe le marais. Les garde-corps sont ornés de roseau pour donner un avant-goût de ce qui se passe plus loin sur la prairie. La halle, dans laquelle l’estacade s’introduit, est dimensionnée à partir des ressources et des besoins du travail du roseau. Sa forme est aussi guidée par les mouvements du roseau et du corps humain, leur circulation. Les ouvertures permettent une bonne ventilation du matériau, qui recouvre l’entièreté du bâtiment. Les pentes de toit dépendent aussi du roseau, qui ne peut être bien conservé que sur un angle égal ou supérieur à 40 degrés. L’ensemble des usages, certains plus bruyants que d’autres, a permis d’isoler d’un côté le stockage et l’espace de repos, tout en ménageant une circulation à la fois des personnes et du matériau.
Tandis que les premières fleurs dévoilent leurs couleurs en avril, les chenilles comment à sortir de leurs nids pour profiter de la chaleur du soleil. Les artisan.e.s sortent les bottes de roseau de l’espace de stockage et lancent l’ouverture du festival du roseau. Ils et elles construisent la structure éphémère, qui attend le bon moment pour prendre vie. Les visiteurs et visiteuses peuvent prolonger leur balade à travers la Halle, et observent l’activité depuis l’estacade qui traverse le bâtiment tout en longeant une ouverture vers le ciel, la végétation haute de l’autre côté de la passerelle, et la toiture de chaume.
Mois de mai : Une semaine avant la commémoration du Damier, le festival propose aux habitants du Bas Briacé, du Loroux-Bottereau et autres curieu.x.ses de construire du mobilier en roseau, qui sera installé pour la cérémonie et que nous appellerons les dormeuses. La date de cet événement est importante, car elle s’appuie sur la période de vol du Damier qui dure au maximum 3 semaines pour un spécimen.Le pic de vol de cette espèce a lieu le 20 mai, c’est donc ce jour-là que la commémoration se déroule. Les cortèges de curieux.ses partent des hameaux les plus proches, démarrant un mouvement de marche vers le Damier. Ils traversent à la fois les étapes de fabrication du roseau, mais aussi les paysages qui la transition douce entre l’habitation humaine et le territoire du papillon. Les marcheurs entrent dans un état d’esprit spécifique, dans l’attente de la rencontre qui s’effectuera au bout de la prairie, ou, par chance, un peu avant. Les dormeuses placent le regard des visiteurs et visiteuses au niveau de ce papillon qui vole entre 20cm et 2m de haut, et qui s’arrête sur les fleurs nectarifères. Les interessé.e.s pourront s’amuser à les prendre en photo, nécessitant de s’adapter à leur rythme, leur mouvement, leur tempo. Les passionné.e.s peuvent aussi les compter afin de recenser leur population et constater ou non l’amélioration des conditions de vie du milieu. Le lépidoptère est reconnaissable à sa taille, ses couleurs orangées, plus pâles à l’extérieur des ailes, mais surtout aux petits points placés sur les ailes inférieures. On fait alors le lien entre les fleurs que l’on a traversé pour arriver jusqu’ici ou les chenilles qu’on a pu voir plus tôt dans l’année.
La commémoration ne peut avoir lieu que sur un temps court, déterminé par le cycle de vie du Damier, mais oblige aussi à prendre le temps une fois sur place, d’observer et de chercher ce lépidoptère de 3cm. On s’installe, on attend en silence, au point d’essayer d’entendre leurs battements d’ailes. Puis, lorsqu’on les voit, on peut observer leur comportement, leurs ailes qui sèchent à la sortie de la chrysalide, leur trompe se dérouler pour absorber le nectar des fleurs, leurs mouvements agités. Et on se dit qu’on reviendra les voir l’année prochaine, peut-être plus tôt pour observer les chrysalides ou les nids de chenilles.
L’intervention reste en place quelques mois alors que les papillons ne volent plus, laissant leur place à la génération suivante de chenilles. Le mobilier a été répandu dans le jardin, laissant une trace de cet événement annuel tout en améliorant son hospitalité. C’est à cette période que les fleurs sont les plus vigoureuses, et le jardin le plus panaché. On peut alors observer la structure, dont les pentes de toit presque nulles accélèrent le processus de décomposition, se défaire au gré des saisons, des pluies et des rafales de vent, rappelant à celles et ceux qui la voient la courte durée du festival, et le mouvement créé par les cycles présents sur le territoire, tout en annonçant sa renaissance l’année suivante.
Acteurices qui pourraient participer au projet
- Le Lycée agricole Briacé, dont la formation pourrait être enrichie par une pratique sur le terrain, et dont la production/récolte de graines peut directement fournir le projet.
- L’association Fête de la Nature : sensibiliser le public à la nature et à sa protection, par l’organisation et la coordination de l’évènement du même nom. Le projet pourrait être intégré à la fête de la nature en pays de la loire qui se déroule la troisième semaine de mai.
- Oreina, association loi 1901, créée en 2007, dont l’objectif principal est l’étude et la protection des papillons de la France métropolitaine.
- L’association Opie, Office pour les Insectes et leur Environnement : association nationale de protection de la nature et d’éducation à l’environnement spécialisée sur les insectes.
- Le plan national d’actions (PNA) en faveur des papillons de jour, établi par le Ministère de la transition écologique Le projet répond à certaines actions de la déclinaison régionale du pna : initier et poursuivre des mesures de préservation en faveur des papillons de jour, sensibiliser le grand public, développer des projets de territoire associant l’enjeu des papillons à des problématiques paysagères, économiques, sociales.
- Atlas entomologique régional (AER). Buts : de participer à la connaissance objective de la biodiversité
Conclusion et ouverture
L’idée de paysage mellifère est une action qui peut s’étendre à d’autres parcelles tout autour du marais, ce qui permettrait de mieux l’entretenir à une plus grande échelle, de former un réseau autour des possibilités de chantier roseau, et de proposer d’autres prairies aux insectes et autres animaux, ouvrant des trajectoires entre plusieurs lieux dans l’objectif également de favoriser les migrations et les échanges génétiques.
Ce projet aura bien sûr besoin de plusieurs années pour atteindre son potentiel, puisque du temps est nécessaire à des espèces pour se réinstaller à un endroit dont elle avait presque disparu, mais aussi le temps que ce lieu se fasse connaître auprès des habitants et des professionnels de la filière roseau.
Au fil des années, on arrive à capter la particularité de leur vol, à les reconnaître à la danse qu’ils effectuent quelques jours. Cet attachement, il s’établit sur le long terme. Les visiteurs et visiteuses se disent qu’ils reviendront pour la prochaine commémoration, pour participer à l’entretien de cette prairie capable d’offrir un spectacle éphémère mais révélateur de tous les liens qui peuvent être tissés entre les humains, et le marais de Goulaine.